vendredi 21 juillet 2023

Texte de Jacques Boislève écrit pour les 15 ans de ParChemins le 24 juin 2023

 

J’ai battu le rappel. Promis : ils seront tous là (non pas physiquement, bien sûr, mais en pensée) pour te remercier, Michèle, d’avoir redonné vie à ce flanc Est du haut de la ville qui dépérissait : plus de commerces, musée fermé, cinéma déconstruit…Il ne restait plus, quelques soirs en été, que les podiums pour redonner un peu de vie. Promis, Michèle : ils seront tous là !

En tout premier lieu, évidemment, Melle Pavion qui avait ici son salon de coiffure, et sa plus proche voisine, Melle Chevrolier, la sage-femme qui m’a mis au monde, Mme Gallard et la famille Vincent, juste de l’autre côté de la rue, et, tout à côté, Mr Cesbron, le cordonnier et son fils André, le père Janvret, monsieur.Oriot, le dentiste, puis Georges Dupré, le secrétaire de mairie, qui avait deux grandes et belles filles et un fils, je crois, qu’il était allé voir en Amérique, et, juste un peu plus haut, rue de Verdun, le petit et discret monsieur Pihery, tailleur. Au coin de la rue du Four, la famille Suire, d’origine juive. Et en remontant un peu, rue de Renéville, José Gilabert, dont la famille avait dû fuir l’Espagne au temps de Franco, et son épouse qui nous donnait des cours de gym et qui fonda les Feux follets. On allait chercher le bon jambon « Le Blason » chez Mme Gallard, puis la gogue et les rillauds, faits maison, un peu plus bas, dans la Grande Rue, chez Ernestine. Il n’y avait déjà plus de marché, place du Marché, bonne raison de la débaptiser pour la renommer place Jules et Marie Sourice, lui médecin et sa fille artiste peintre, deux figures du quartier. Sur cette même place, dans sa grande maison – l’ancien presbytère de l’église paroissiale Saint-Pierre ? - Pierre Maussion, maire de Saint-Florent en son temps, auquel succéda en ce lieu et à la tête de la tannerie son gendre Paul Ballain auquel le Ciné-Glonne doit tant. Tout en haut de la Grande Rue, personne n’a oublié la Maison médicale, ni ses médecins, le très jovial Armand Habert et Pierre Spiesser pour n’en citer que deux. Mais qui se souvient, en bas de la Place du Marché, des petites sœurs de Saint-François, toutes dévouées pour les soins et qui accueillaient dans leur toute petite communauté quelques personnes très argées et désargentées ? Disparue, hélas ! la belle petite maison au joli fronton en chapeau de gendarme qui les hébergeait pour faire place au cinéma et à l’amorce d’une bibliothèque : un cinéma lui aussi démoli pour retourner là où je l’avais connu : dans les hauts murs de l’abbaye. Modestes et éphémères témoins d’un beau projet avorté : faire - comme à La Gacilly en Morbihan, à Sainte-Suzanne en Mayenne et à Vouvant en Vendée - de la petite cité de caractère de Saint-Florent, qui avait dans l’abbaye leur délégation régionale, un village d’artisans d’art, une céramiste avait son atelier dans la Grande Rue et plus récemment une boutique de souvenirs et objets d’art avait ouvert, un peu plus bas, de l’autre côté de la rue.

Gamins, on se postait tout près de là, sur la haute murette de la Place du Marché, depuis reconstruite deux pas en arrière, pour applaudir les coureurs et encourager ces Bartali et Géminiani locaux pour la grande course cycliste de la Saint-Jean : cette montée du Mont-Glonne, à l’arrachée, sur cette raide grande rue, c’était nôtre petit Tourmalet à nous, nôtre Mont Ventoux, : il y avait une prime à gagner pour le premier à franchir le trait marqué à la chaux, juste ici devant la librairie. Nous, la nuit de la Saint-Jean, on se contentait de descendre joyeusement la côte en emboitant le pas de la fanfare avec nos torches. N’y eut-il pas aussi un reposoir dressé là, toujours en haut de la Grande Rue, les jours de Fête-Dieu ? L’enfant de chœur que j’étais ne s’en souvient plus, me remémorant seulement avoir servi la messe dans la chapelle du Sacré Cœur, avant d’aider René de Dreuzy à en faire le Musée d’histoire locale et des Guerres de Vendée que nous avons connu, et, avec Pierre Davy, d’apporter notre belle pierre au chantier avec l’autel de la Poulinière démonté et déménagé pour être remonté là. Avec Pierre Davy, on avait aussi tous les deux insisté pour que la place du marché, reprofilée et réaménagée, ne soit pas goudronnée mais végétalisée. Ce qui fut fait.

Quant au salon de coiffure, le lieu ne m’est pas moins familier depuis l’enfance. Je nous revois, mon frère et moi, lui assis dans le fauteuil et moi, attendant mon tour, feuilletant le Reader Digest, et je revois mon père, entrouvrant la porte, apparaître dans le grand miroir. A peine entrevu et aussitôt reparti : juste le temps de passer la consigne : « Les cheveux des enfants : bien dégagés sur les oreilles ! » Les blessures de guerre alors n’étaient pas encore toutes cicatrisées et je n’ai jamais oublié dans ce même salon, ce court échange entre adultes qui m’avait frappé : « Ninette, c’est un miracle si elle a réchappé des camps ! Vous savez : elle a été dénoncée car c’était une résistante. » Dénoncée par qui ? Aucun nom n’avait été prononcé, pour ne pas ajouter à la délation, mais dans le salon de coiffure, les deux adultes avaient pris un air entendu : ils croyaient savoir.

Cheveux châtains tirant sur le noir, grosses lunettes, voix haute et aimant plaisanter, un peu théâtrale, si me souviens bien, Melle Pavion n’est plus. Avec la fermeture du salon de coiffure, une page du vieux Saint-Florent se tourne. Avant d’accueillir une galerie de peinture – Fleur d’eau - à l’initiative d’Huguette Richard du Doré qui avait acquis, j’imagine, les lieux dans ce but, puis de devenir cette librairie qui lui a redonné vie, ce bel immeuble, beau témoin du Saint-Florent entièrement reconstruit au XIXe siècle après le grand incendie de 1794, abrita également un éphémère magasin d’usine. Je suis bien placé pour m’en souvenir : il avait été souhaité par mon beau-frère, fabricant de chaussures, qui avait un autre dépôt-vente à Paris. Cette petite boutique de Saint-Florent, c’est mon ex, Michèle Devaucholle, qui la tenait. Je l’ai aidée à aménager le lieu puis, quelques temps plus tard, à le déménager !

Salon de coiffure hier, librairie et galerie aujourd’hui, depuis quinze ans maintenant, ce n’est seulement le lieu qui revit, mais avec lui tout le quartier. Deux fois merci, Michèle ! Un premier et grand merci pour avoir osé ParChemins, ta belle petite entreprise qui est infiniment plus qu’une simple librairie, je le dis et le redis, un vrai lieu de vie où les habitués croisent des gens de passage, autour d’un livre, autour des auteurs que tu invites, des artistes que tu exposes dans un fécond dialogue entre les mots et les images : on se pose, on se cause, autour d’un thé ou, le dimanche après-midi, en redécouvrant l’art du tricot. Dans les musées, défense de toucher : on doit se contenter d’admirer. Ici, on échange, on se parle. Les livres, on peut les ouvrir, les feuilleter. C’est la culture au quotidien, le partage des coups de cœur. Et merci aussi et surtout pour avoir choisi de développer ton projet ici. Car, cela aussi doit être rappelé : tu as fait d’emblée le choix audacieux et courageux mais délibéré de ta part et gagné : plutôt que d’aller en ville, à Cholet par exemple où une proposition séduisante, comme libraire également, t’avait été faite, tu as choisi de rester ici, à Saint-Florent, où, de la même façon que tu procédais précédemment, si accueillante et efficace, à la Ferme abbatiale des Coteaux, tu t’es attachée à donner au lieu une âme, en faire, je le dis et je le redis, un lieu de vie, un lieu d’échanges, et comme devrait-être toute librairie, bien au-delà d’un simple magasin, les livres n’étant pas à tes yeux une marchandise comme les autres mais de véritables biens culturels. Tu as su aussi associer les mots et les images, les écrits et les paroles, la convivialité, avec, de plus, un rayon dédié à la grande figure locale – Julien Gracq – qui te dois lui aussi – post mortem ! – un grand merci.

Ce qui me frappe enfin dans cette démarche, c’est ici comme à Ancenis, à Beaupréau, à Clisson, la présence, aujourd’hui en milieu rural, de cette galaxie de petites entreprises culturelles qui , associant l’animation et la créativité, ont, certes, leur dynamique et ressorts propres mais, tout autant, l’art d’interagir en réseau – ce qu’illustre parfaitement Par-Chemins, mais aussi au pied du Mont-Glonne, la Maison Gracq ou encore le Bibliothéâtre et à deux pas d’ici, le Théâtre de l’Evre : trois ou quatre qui font cinq si on ajoute, côté musique, les Ateliers du Fresne des frères Lebrun, d’abord sur Varades et maintenant à Saint-Laurent-du-Mottay. Pas de corps sans âme : la librairie est un corps auquel le ou la libraire donnent une âme. Michèle, ici, tu es littéralement la fée du logis.

Jacques Boislève



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